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Villes à la frontière et transformation de l'espace : le cas de Haïti et la République Dominicaine

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Titre

Villes à la frontière et transformation de l'espace : le cas de Haïti et la République Dominicaine

Sujet

urbanisation, ville moyenne, Haïti, République dominicaine, frontière
Architecture

Description

Peu de frontières séparent deux pays aussi inégaux que celle qui sépare la République Dominicaine et Haïti. Les deux Etats partagent le territoire de l'île Hispaniola, mais un profond processus de différenciation, initié dès le partage colonial de l'île entre la France et l'Espagne puis maintenu par les idéologies des deux nations modernes, a mené à ce que Jean-Marie Théodat (1998, 2003) appelle une " double insularité "– ces pays évoluant comme si chacun était sur une île différente. Pourtant, malgré tous les préjugés et les différences d'ordre ethnique, historique, linguistique, social, religieux et économique, les populations des régions frontalières établissent des relations transfrontalières beaucoup plus suivies et importantes que cela n'est officiellement admis, même si elles sont largement fondées sur des intérêts économiques (De Jesus Cerdano et Dilla, 2005 ; Sillé, Segura et Cabral, 2002). La dynamique locale créée par ces échanges devient palpable si l'on observe le marché binational très actif des villes frontalières de Ouanaminthe (Haïti) et de Dajabón (République Dominicaine). Deux fois par semaine, des gens venus de la partie Nord des deux pays se rendent dans ces villes situées de part et d'autre de la frontière, pour acheter ou vendre des marchandises ou des services sur le marché de Dajabón. Les autres jours, plusieurs tonnes de marchandises transitent par Haïti, de telle sorte que ces petites villes sont devenues un carrefour important du sous-système économique de la plus grande partie du Nord de l'île. En outre, la mise en place, à Ouanaminthe en 2002, d'une zone franche pour la production de textiles destinés au marché états-unien relie les villes frontalières à l'économie internationale. Cette évolution récente prend place dans le contexte général d'une ouverture progressive des frontières (Martinez, 1994). C'est le résultat de politiques internationales décidées dans les capitales nationales sans consultation des régions concernées. A Ouanaminthe comme à Dajabón, les institutions locales sont faibles et reçoivent peu ou aucun soutien financier ou administratif de leur gouvernement central. Ces villes n'ont pas les moyens de faire face à la pression croissante sur le foncier et sur les infrastructures, l'émergence d'opportunités pour développer des moyens légaux et illégaux de subsistance ayant entraîné le triplement de la population en vingt ans (Dajabón a vu sa population passer de 8'500 habitants en 1980 à 16'000 en 2002, et Ouanaminthe de 7'000 en 1981 à 39'000 en 2003). Comment ces transformations économiques, politiques et sociales récentes façonnent-elles l'espace urbain des deux villes ? J'ai posé cette question en analysant les motivations des acteurs impliqués dans le processus de transformation spatiale, et l'impact de leurs actions. Dans mon travail, je fais référence au cadre conceptuel de l'intermédiation urbaine (Bolay et Rabinovitch, 2004), c'est-à-dire aux enjeux spatiaux auxquels chaque ville doit faire face en fonction de ses caractéristiques internes, de ses fonctions dans les réseaux nationaux et internationaux et de ses relations avec l'environnement rural immédiat. Pour appliquer ce cadre de travail à la problématique frontalière, la partie conceptuelle de ce travail se propose de développer le concept d'"intermédiation frontalière". Au concept déjà existant de l'intermédiation urbaine, il rajoute la prise en compte de l'influence des caractéristiques de la frontière (fondée sur des politiques nationales et internationales, les questions économiques, les identités locales, les réseaux sociaux, les questions de défense nationale et d'organisation de l'espace). Cela permet de faire le lien entre le système binational des villes frontalières et le concept d'intermédiation. Les données ont été collectées sur trois ans et demi, durant plusieurs périodes de terrain : observation et représentations de l'occupation et de l'utilisation de l'espace, cartographie, entretiens avec des acteurs locaux et des habitants complétés par d'autres sources primaires et secondaires. Cette étude montre que les évolutions récentes ont accentué le déséquilibre des relations entre les deux villes. La faiblesse politique de la municipalité de Ouanaminthe pour affronter la croissance démographique et contrôler le commerce ou lui imposer des taxes, a accru sa dépendance envers la ville dominicaine. Pour un nombre croissant de Haïtiens, il est vital de traverser la frontière pour trouver revenus, soins et éducation à Dajabón, ceci malgré le racisme latent et les mauvais traitements qu'ils y reçoivent. Se fondant sur un fort sentiment d'exploitation, les Haïtiens sont souvent très critiques envers la relation d'ordre capitaliste et même colonialiste qui leur est imposée par leurs voisins : ce n'est pas seulement que le marché binational a lieu à Dajabón, mais aussi que les entreprises dominicaines installent des filiales à Ouanaminthe, en tirant avantage de la main d'oeuvre bon marché et de l'absence d'industrie locale. A l'inverse, la majorité des habitants interviewés venant de Dajabón n'ont pas besoin de traverser la rivière pour leur survie. La plupart d'entre eux ne sont jamais allé à Ouanaminthe, qu'ils considèrent comme insalubre, non maîtrisée et dangereuse. Dans les deux villes, les règles en matière d'urbanisme ne sont pas appliquées. De ce fait, la croissance urbaine a été entièrement orientée par les structures de propriété de la terre et les pratiques d'occupation du sol. Autour de Dajabón, les terres adjacentes appartiennent presque exclusivement à deux propriétaires, dont la stratégie –accroître la valeur du sol en équipant des quartiers résidentiels de classe moyenne– a eu pour conséquence de limiter l'étalement urbain. Par contre, à Ounaminthe la terre appartient à une multitude de petits paysans. La vente et l'occupation illégale de petits lots de terrains conduit à une extension urbaine, traversée de chemins en terre et laissant de grandes zones entièrement inaccessibles par voie motorisée. La croissance de la population a aussi été absorbée par une densification importante de quartiers préexistants. Aucune collaboration formelle n'existe entre les deux municipalités. Des collaborations informelles sont entretenues grâce à l'implication des deux maires, mais dans l'ensemble, la collaboration transfrontalière est laissée aux ONGs et associations professionnelles qui militent pour les droits de l'homme, les questions environnementales et un traitement équitable à l'intérieur du marché binational. Les agences de développement présentes sur la frontière initient des projets avec des préoccupations binationales concernant les deux côtés, mais ceux-ci sont déconnectés du niveau local et fortement influencés par le fait que ces agences travaillent directement avec les gouvernements centraux. Dans les deux villes, nous observons un processus de ségrégation interne, puisque des établissements commerciaux occupent progressivement des parties des centres-villes et que la classe moyenne émergeante se concentre dans des quartiers spécifiques. Ouanaminthe et Dajabón sont interconnectées fonctionnellement et leur transformation est sans doute gouvernée par la perméabilité progressive de la frontière. Néanmoins, cette frontière sépare deux paysages urbains complètement différents, profondément marqués par les caractéristiques de chaque ville. Aussi, la relation inégale et complexe des deux populations crée le paradoxe que leur proximité spatiale accentue la ségrégation dans les deux villes, car elle permet aux citoyens des deux pays de rester dans leur environnement et de faire la navette –si nécessaire– même chaque jour. Ce travail montre que l'application du concept d'intermédiation est approprié pour étudier les relations complexes qui gouvernent l'espace frontalier. A travers l'analyse basée sur ce concept, nous avons étudié, au niveau local, des processus qui ont lieu au niveau global. Cela nous a permis de formuler quelques réponses à la question centrale: "Comment les populations locales, les compagnies nationales et internationales et les gouvernements réagissent-ils quand une économie territoriale, basée sur l'agriculture, est progressivement reliée aux réseaux internationaux ?"

Créateur

Poschet El Moudden, Lena

Éditeur

Ecole polytechnique fédérale de Lausanne - EPFL

Date

2006

Contributeur

Bolay, Jean-Claude. Directeur de thèse

Langue

Fr

Type

Thèse

Identifiant

http://library.epfl.ch/theses/?nr=3655&fmt=full
http://lallier.msh-vdl.fr/theses/items/show/287
http://lallier.msh-vdl.fr/theses/archive/files/0a9441ae36b01764c212ba65f5f81a3c.jpg