Chandigarh et Le Corbusier. Création d'une ville en Inde, 1950 - 1965
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Titre
Chandigarh et Le Corbusier. Création d'une ville en Inde, 1950 - 1965
Sujet
Le Corbusier, Chandigarh, Inde, ville nouvelle, histoire de l'urbanisme, Papillault Rémi
Description
Présentation par l'éditeur :
Ce travail d’architecte-historien extrêmement fouillé et documenté traque, à l’occasion de la rencontre de l’auteur de l’Esprit nouveau, du concepteur de "la ville contemporaine pour trois millions d’habitants", avec l’Inde millénaire, les prises de conscience, corrections et remises en question de la pensée la plus puissamment abstraite qui ait jamais été conçue en matière d’urbanisme.
Comment l’histoire et la temporalité même, ainsi que l’ouverture au devenir, peuvent-elles être réintégrées dans la conception d’une ville nouvelle qui soit "d’une seule pensée", entièrement préméditée, et de "pure géométrie", c’est-à-dire rigoureusement planifiée et conçue par principe d’un point de vue exclusivement spatial ?
Avec l’accélération sans précédent du phénomène urbain, nous sommes en effet passé, au cours du XXe siècle, d’une ère essentiellement temporelle à une ère exclusivement spatiale, du moins telle que la modernité la conçut à Brasilia comme à Chandigarh. Auparavant, comme le disait Péguy, la ville était une histoire qui devenait géographie. Mais l’on ne fait plus aujourd’hui aucune confiance au temps. L’"urbanisme moderne" né de la vieille Europe coloniale, rationaliste, et industrielle, aspire au travers de la planification (la réduction du temps à l’espace) à la parfaite prévisibilité d’une organisation sociale à toutes les échelles de la vie collective. Le Corbusier, le planiste de la première heure, tenant de l’esprit de pure géométrie, "étincelante comme du cristal", d’une rationalité salvatrice, l’auteur du "Poème de l’angle droit", tendu vers le "fait contemporain" au point de ne vouloir partout que des actes de l’esprit hors de la matière et du temps en fut le penseur et le propagandiste le plus éminent. Car c’est en fidèle héritier de l’idéalisme platonicien, que ce siècle, qui a vu s’étendre la domination de l’Occident sur le monde semble avoir négligé, oublié, voire nié les trois conditions de toute création véritable, de toute réalisation dans le monde, que sont l’autre, la matière et le temps.
La terre de l’Inde, le temps de l’Inde, les peuples et leurs cultures immémoriales viennent bouleverser les certitudes du démiurge platonicien, bon cartésien, volontiers fouriériste, qui s’est nommé, Le Corbusier. En lui le poète entend résonner l’autre monde, celui qui résiste et échappe aux idées pures et intelligibles soustraites à "la matière et aux heures", au "maître et possesseur de la nature", de la terre et du temps. Et tandis que le théoricien se débat avec les idées de sa raison, tandis qu’à chaque nouvelle rencontre avec l’Inde, "le sentiment déborde", Le Corbusier, acharné à sauver quarante ans de travaux obstinés sur la ville contemporaine, pour rester le maître incontesté de l’urbanisme moderne, face à ce réel qui est plus fort que toute pensée, remet "tout ce qu’ croyait savoir sur la ville... en question".
Mais c’est l‘oeuvre du poète qui s’impose finalement à tous, celui qui dès les années vingt disait à l’instar de Max Jacob préférer aux "vérités premières" "le mariage avec la terre", le bâtisseur du Capitole, de la tour des vents, c’est l’oeuvre du penseur inspiré et du plus grand architecte du XXe siècle, qui s’épanouit aux pieds de la chaîne himalayenne, "oeuvre ouverte" au vide où tout prend naissance, à l’espace et au temps, à la nature entière, ouverte à l’autre et au monde à venir. Ouvrant toute grande sa main aux générations futures, comme on sème dans le ciel et la terre de l’Inde, c’est bien plus que des idées qu’il nous lègue, c’est une œuvre indicible où se rejoignent l’autre, la matière et le temps, une oeuvre qui scelle, plus que tout autre acte, la naissance d’une ville enracinée dans cette terre qui recueille la mémoire des mythes fondateurs, des traces immémoriales des civilisations vivantes, et qui, sous l’ultime vérité de l’art reste ouverte aux millénaires futurs : "Pleine main j’ai reçu, pleine main je donne", épigraphe sous le toit du monde, aux pieds des sources éternelles, par lequel il nous faut aujourd’hui réévaluer l’œuvre entière du Maître.